Sing-Joe. L’être et le Faire

« Echouer n'est pas une option : c’est maintenant que je dois tout donner »

 

Sing-Joe est un gourmand. Pour le retrouver, j’ai dû choisir entre macarons et glaces. Choix n°2 : c’est donc par un cornet de glace chocolat intense, chez Grom, que notre entrevue a commencé. Pourtant sans gluten et sans lactose, c’est une merveille gustative. Autant dire qu’il a marqué des points : c’était comme donner de l’eau à un assoiffé dans le désert après 4 jours de privation.

Suite à cette magnifique entrée en matière, il m’a menée sur, je cite, Le circuit de la choppe (je vous invite à tester dans les bonnes conditions). C’est un chemin qui part de Pierre Hermé ou Grum (à Paris), descend la jolie rue de Seine pour déboucher sur le Pont des Arts. A emprunter, de préférence, en début de soirée, en bonne compagnie. Arrivés à la Seine, la vue dégagée et les lumières de Paris auront fait la moitié du job, à vous de conclure à votre manière. Pour ma part, nulle lumière, le soleil était encore haut dans le ciel et nous avions du travail. Je me demande tout de même si c’est ainsi que Sing-Joe a séduit sa belle ou si c’est elle qui l’a fait tomber dans son escarcelle ? Mais revenons à nos moutons.

Le besoin d’ÊTRE.

Un jour de début 2016, Sing-Joe s’est penché sur son compte en banque et sur sa vie. Terrible constat : il y a vu plus de contenu dans le 1er que dans la 2nde. Après 6 années en tant que prestataire de service en systèmes d’informations, son travail lui semblait vide de sens. A l'étroit entre les priorités des uns et des autres, il se sentait, de plus en plus souvent, privé du pouvoir de FAIRE. Quant-à sa vie personnelle, elle semblait le priver de son pouvoir d'ÊTRE, guidée par l’inexorable injonction il faut … « que tu sois sérieux à l’école pour entrer dans la bonne section, puis la bonne prépa, que tu aies la bonne école pour avoir le bon diplôme, que tu aies le bon travail pour avoir un appartement, que tu sois propriétaire pour avoir réussi ta vie ». Avoir un bon dossier lui est soudain apparu insupportable : il avait besoin d’air !

En 2 mois, il a pris la décision irrévocable de partir. Il a démissionné, rendu son logement, quitté sa famille à un moment qui n’était pas le meilleur et puis il a pris un aller simple pour le Canada, sans date de retour. Objectif : comprendre qui il était vraiment.

Il a traversé le continent américain du nord au sud, par La Route des gringos. Il a circulé en bus et en tongs, côtoyé les auberges de jeunesse, partagé des moments rendus intenses par leurs seules durées limitées, rencontré des gens touchants. C’est d’ailleurs un ancien alpiniste qui lui a inspiré sa manière de voir la vie aujourd’hui. Cet homme, qui avait perdu l’usage de ses doigts en montagne, lui a dit avec un sourire lumineux « à partir de maintenant, ma vie c’est celle-là et je fais avec ». Au fil du voyage, Sing-Joe a remarqué l’évolution de son propre système de pensées : du contraignant « je dois » au libérateur « en ai-je envie ? ».

Finalement, est venu le jour où il a eu envie de rentrer en France, de retrouver des relations pérennes, « de me réinsérer dans le monde du travail ». Il sera resté 6 mois à l’étranger. A raison d’un mois par année travaillée, je me demande si, comme moi, il s’est rendu compte de la coïncidence ?

L’envie de FAIRE.

A son retour, il avait changé mais la vie ici avait continué comme avant. Ses parents lui ont demandé s’il avait fini de jouer ; il ne semble pas avoir trouvé les mots pour expliquer que son voyage était bien plus une révolution intérieure qu’un simple batifolage en contrées lointaines. Mais chacun n’a-t-il pas sa propre histoire et sa propre grille de lecture ?

Tant pis pour les incompréhensions, Sing-Joe n’use pas les mots et se met en action. D’abord, un parcours APEC qui lui permet de centrer ses choix de carrière vers de plus petites structures. Puis une 1ère expérience écourtée dans une start-up parce que, maintenant, il ne veut plus subir de situations professionnelles non satisfaisantes. Et enfin, presqu’un an après son retour, un ami lui parle de son projet d’entreprenariat.

L’embryon de ce projet, ils en avaient déjà parlé, avant son départ : aucun d’eux n’était prêt. Mais en 2018, Olivier a bien avancé et Sing-Joe a changé d’état d’esprit : il souhaite s’investir à temps complet dans la start-up et mettre les mains dans le cambouis. Il a une furieuse envie de FAIRE et il saisit cette opportunité unique. Il est celui qui s’occupe des processus du chatbot et de ses conversations avec le client. Il paramètre le produit, selon les préférences du commanditaire. Il travaille en binôme avec Olivier et s’appuie sur les actions des développeurs.

Il consacre 100% de son temps à cette entreprise qui débute et ne touche pas encore de revenu. Mais ce n’est pas grave parce qu’il y croit, il est motivé, il ne veut pas penser à l’option de rechange en cas d’échec. Son avenir, il le voit bien millionnaire mais avant il fera tout ce qu’il faut pour que cela fonctionne, dusse-t-il manger des pâtes ou prendre un mi-temps en plus. « Je fais un pari : je mise 6 mois, un an de ma vie sans plan financier stable mais c’est un sacrifice que je veux bien faire pour que la boîte marche ». Car avec cette expérience, il construit quelque chose de tangible. Il fait un truc qui lui plaît, un peu à sa façon. Il apprend d’autres choses sur lui et il continue à avancer. 

Collaborer avec un ami n’est pas toujours facile. Pour Sing-Joe, Olivier est l’archétype de l’entrepreneur : il est efficace, travaille très vite et énormément. Mais il comprend les retards et accepte les erreurs. Il préfère qu’on lui dise que c’est imparfait plutôt qu’on ne lui dise rien. En 10 ans d’amitié, ils n’avaient jamais eu de désaccord mais depuis le début de leur collaboration, il y a eu de belles engueulades, surtout liées à des problèmes de communication. Malgré tout, ils restent potes et ils avancent. Sing-Joe a mis de côté sa rébellion anti-travail/anti-chef car Olivier le mérite : « je vois ce qu’il fait ; je comprends sa frustration ou son impatience ». A côté de son hyper(ré)activité, Sing-Joe dit qu’Olivier est un humaniste comme il en existe peu « à sa place, je me serais saoulé et je me serais viré moi-même ». Mais Olivier a tenu bon parce que c’est un « idéaliste de l’humain, il tient aux gens et souhaite trouver des solutions pour qu’ON y arrive »..

Sing-Joe a pris 6 mois pour muer et enfin ÊTRE. 6 mois pour entreprendre et apprendre à FAIRE. Il y aura sans doute d’autres périodes de 6 mois, toutes aussi fructueuses. Mais qu’est-ce que 6 mois dans une vie sinon l’équivalent d’une goutte d’huile … essentielle ?

 

photo de Milan Popovic 

Suivant
Suivant

Loïc. Repreneur d’entreprise