Caroline. Strong brindille
« Il est inutile de s’engager dans un combat perdu d’avance »
Je suis arrivée en interview pleine de certitudes. Caroline allait me parler des personnes qui lui ont donné confiance en tant que musicienne. Je l’avais, en effet, contactée pour initier une série intitulée Parlez-moi d’Ailes. Pour un RDV dans un salon de thé, je m’étais conditionnée à renoncer aux pâtisseries (gluten, je te hais !). Je m’étais préparée à être impressionnée par la forte personnalité de mon interlocutrice.
Je n’ai pas encore écrit de série “Parlez-moi d’ailes” ; le point fixe de Caroline est la science et non la musique ; les pâtisseries étaient sans gluten. Rien ne s’est passé comme prévu … Ou presque.
Intimidante.
J’ai bel et bien été impressionnée. Caroline a une Présence, avec un grand P. Elle se tient aussi droite qu’une danseuse. Elle plante son regard dans le vôtre sans ciller. Sa voix est posée. Elle rit souvent. Et surtout, elle possède cet immense sourire qui quitte rarement son visage. Elle est là, comme si elle savait qu’elle était au bon endroit, au bon moment.
J’ai souvent eu cette impression en sa présence.
Musicienne aux multiples talents, elle semble aussi à l’aise avec une guitare électrique que derrière un micro. Et quelle générosité ! Elle donne sans compter, à son public comme aux autres groupes. Elle joue avec des débutants comme avec des musiciens expérimentés. Elle donne un coup de main pour la logistique des concerts. Et elle a même fini par être élue au conseil d’administration de l’école de musique. Il y a peu de femmes dans cette école et aucune n’ose, comme elle, endosser le rôle d’ingénieur du son. Pourtant, je crois qu’il ne viendrait à l’idée de personne de remettre ses capacités en question.
Caroline se définit elle-même comme une grande gueule.
Est-ce l’habitude d’évoluer dans un monde d’hommes ? Des études scientifiques suivies d’une thèse en électromécanique, le tout dans un milieu où l’on fait difficilement place aux femmes. Est-ce son tempérament passionné ? Elle est ingénieure dans l’automobile et adore son métier. A tel point qu’elle ne se voit pas quitter son entreprise avant la retraite tant elle aime ce qu’elle y fait. Est-ce l’école du rock, le vrai ? Elle l’a découvert à l’internat, à l’adolescence. Cette musique l’a prise immédiatement aux tripes “Avec le rock, je ne me suis plus jamais sentie seule car d’autres ressentaient les même sentiments que moi”.
D’après elle, Caroline tire sa confiance en elle de l’expérience. Elle côtoie la musique depuis l’âge de 8 ans. Très tôt au contact du public, elle a commencé par la flûte, dans la fanfare communale. Une approche joyeuse de la musique donc. Mais surtout, il y a 2 ans, elle a encadré une dizaine de groupes pour l’enregistrement d’un CD commun. Elle a touché à tout : de l’organisation à la photo, du studio au graphisme, de la recherche de sponsors à la communication. En regardant objectivement cette aventure, elle se dit « j’ai mené ce projet à bien ; je peux tout faire ! ». Son expérience de la musique nourrit sa confiance professionnelle et inversement.
Mais cela n’a pas toujours été le cas. Lorsque les fondations de notre maison ne sont pas solides, il arrive qu’un mur puisse se fissurer, à la faveur de certaines intempéries.
Intimidée.
J’ai parlé de l’allure de danseuse de Caroline. Elle en a également le physique. Grande, fine, elle possède un jolie port de tête. Elle défie aussi tous les stéréotypes : elle assume les fils d’argent dans sa chevelure brune, porte des Doc Marteen’s avec des mini-jupes, conduit une moto, joue de la guitare électrique, chante du rock, répare elle-même ses instruments. C’est une sacrée femme ! Une femme qui ne laisse pas indifférent et pourtant…
Pourtant, elle me confie avec un sourire gêné, qu’il y a quelques années, elle baissait les yeux lorsqu’elle croisait d’autres femmes, dans les couloirs de son entreprise. Elle avait honte d’elle-même. Elle les trouvait tellement plus féminines qu’elle. Tellement plus « tout » qu’elle. Sa descente aux enfers, elle la doit à son ex-compagnon qui, en à peine 1 an, a tout tué en elle. Insidieusement. Lentement mais sûrement. Sa confiance comme sa joie de vivre. Elle avait même cessé de jouer de la musique, pour la 1ère fois de sa vie. Elle partage cette question avec l’un de ses amis musiciens “Est-ce que j’ai touché le fond parce que j’ai arrêté la musique ? Ou bien est-ce que j’ai arrêté la musique parce que j’ai touché le fond ?”.
Je me demande si la question ne serait pas “l’arrêt de la musique a-t-il été la sonnette d’alarme qui lui a permis de reprendre la main sur le cours de son existence ?” Toujours est-il qu’il lui a fallu 3 ans pour remonter la pente. Elle est entourée d’un cercle d’amis indéfectibles sur qui elle a pu compter tout au long de son retour à elle-même. Ne dit-on pas qu’on a les amis qu’on mérite ?
Toute à sa réflexion sur la confiance en soi, Caroline se demande si elle ne devrait pas remercier cet homme-là d’avoir, finalement, jouer un rôle dans sa nouvelle confiance en elle. Car sa maison est, aujourd’hui, beaucoup plus solide qu’elle ne l’était auparavant. Si je pense que le pardon est salvateur, je pense aussi que le seul mérite revient à Caroline elle-même. Il faut beaucoup de courage pour se remettre de ce genre d’expériences. Ensuite, c’est un travail personnel quotidien pour continuer à voir la vie en rose.
Intime.
Caroline est une femme de sciences. Au sortir de ses études, elle a entrepris une thèse en électromécanique pour être incollable dans son domaine. Au cas où son jugement serait remis en cause, elle voulait pouvoir opposer des preuves tangibles. Grâce à l’aide de l’un de ses professeurs, cette expérience lui a permis de prendre du recul pour toute sa vie. Elle sait, aujourd’hui, quels sont les combats qu’elle peut gagner et donc mener. Et ceux qu’elle doit savoir abandonner.
Les épreuves de l’existence, elle les examine toutes à l’aune de la science. C’est donc vers la science qu’elle s’est tournée, à l’âge de 30 ans, pour comprendre la plus grande des injustices. Le corps médical lui a annoncé, sans ménagement, que pour une raison inconnue, son corps à elle se rebellait. Elle ne pourrait “sans doute” pas avoir d’enfant. Son utérus devait “être mis au repos”. Belle tournure pour masquer les maux passés et à venir. A 30 ans, elle a connu tous les désagréments de la ménopause comme les fameuses sautes d’humeur. Elle se rappelle, en riant, de la fois où elle a fondu en larmes, au self de son entreprise, parce qu’il n’y avait plus de mousse au chocolat. Six ans après, le “sans doute” reste un épais nuage de questions sans réponse. La science n’est pas une science exacte.
Sur ma route pour cette interview, j’avais une intuition : j’allais nommer mon article Strong Brindille. Je l’utilise finalement en conclusion. Caroline a la silhouette d’une brindille. Les épreuves de sa vie auraient pu maintes fois la briser définitivement. Mais elle a quelque chose en elle, de plus fort que tout... Ce n’est pas étonnant que le rock l’ait choisie.
photo unsplash : Greyson Joralemon